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Theologie du retable.

On peut légitimement se poser la question suivante : Est-ce bien un retable au sens religieux du terme?

C’est vrai tous les historiens et historiens de l’art qui se sont penché sur le retable de Montbéliard attribuent à cette oeuvre une fonction de retable. C’est ainsi qu’Heinrich Modern pensait que cette oeuvre était un retable catholique installé en l’Eglise St Maimboeuf du château sur un autel en ex- voto aux épidémies de peste. D’autres historiens verront dans cette oeuvre un retable protestant cherchant à concilier les différentes doctrines protestantes sur la Sainte Cène.

Cette oeuvre, à mon sens , n’est plus un retable au sens propre du terme mais un détournement du concept architectural de retable au profit d’une autre perspective théologique.

C’est ce que je vais m’attacher à démontrer

Mais avant il est peut-être bon de rappeler brièvement ce qu’est un retable en terme d’architecture religieuse. C'est une structure posée sur la table d’autel et qui le rehausse ainsi à l’arrière, d’où son nom “re” pour retro arrière, “tabulum” pour table d’autel.

Techniquement il s’agit généralement d’une sorte de coffre peu profond dans lequel viennent se replier des volets ou panneaux. Comme ces panneaux risquent de frotter de par leur poids sur l’autel on construit une surélévation également peinte et décorée sur laquelle sera posé le dit coffre et que l’on appelle prédelle.

Or s’il est une chose que l’on constate au sujet de notre retable c’est bien l’absence de prédelle. Les partisans du retable soutiennent qu’il devait y en avoir une à l’origine qui a disparue. On peut fort bien soutenir le contraire tant il est vrai que la structure actuelle du retable apparait suffisante et cohérente. On ne voit pas qu’est-ce qu’on aurait pu ajouter par une prédelle à ce programme si complet et si cohérent des 157 tableaux. Il faudrait pouvoir faire un examen détaillé du dessous du coffre du retable pour savoir si vraiment une prédelle était fixée à ce coffre ou non.

1. Je crois pour ma part que les historiens se sont laissé quelque peu entraîner dans l’usage d’une terminologie catholique où tout polyptyque c’est à dire structure à plusieurs volets ne peut être que placé sur un autel donc être un retable. D’ailleurs l’allemand accentue cette confusion puisqu’il utilise le même mot “altar” pour désigner à la fois l’autel et le retable.

2. Ce polyptyque n’est pas un retable catholique ( comme le pensait Heinrich Modern et d’autres spécialistes à sa suite) . Preuve en est les 5 images à caractère polémique protestante qu’il contient et dont je vous détaille ici la plus originale et la plus humoristique.C’est une image polémique et critique non de l’Eglise catholique mais de sa gouvenance, c’est-à-dire de sa hiérarchie, dont les vertus morales à cette époque étaient pour le moins discutable. Il s’agit de l’illustration d’une parabole de Jésus qui peut se résumer ainsi. Un paysan sème dans son champ du bon grain et la nuit pendant qu’il dort le diable,l’adversaire, le malin vient semer de l’ivraie. Or le peintre a d’emblée présenter le diable ou l’adversaire sous les traits d’un moine avec capuche et tonsure et une laideur des plus significatives.

Et puis il transpose et à la place de dessiner un brave paysan en train de dormir c’est toute la Curie romaine qu’il représente dont le Pape en personne.

L’allusion est claire alors. Pendant que le diable est à l’oeuvre dans le monde et sème l’ivraie, c’est à dire en grec la zizanie, la Curie romaine est en train de dormir !

Et pour accentuer encore le trait le peintre dessine à droite sur son tableau un four à pain et une femme préparant du pain. Allusion certaine à ce petit peuple qui lui veille et oeuvre positivement.

Mais si le polyptyque est oeuvre protestante, il n’en est pas pour autant une oeuvre qui aurait pour but, pour motivation ou finalité d’être oeuvre de propagande protestante polémique comme le furent à cette époque bien des gravures, dessins ou peintures.

3. Ce polyptyque bien que protestant luthérien n’est pas à proprement parlé un retable luthérien. Le retable luthérien est en effet comme le retable catholique lié à l’autel ou la table de communion. Ses thèmes picturaux sont très codifiés et concernent plus la doctrine luthérienne ( ici la sainte cène) que l’illustration du texte biblique.

Il faudrait plutôt donner à ce polyptyque un caractère emblématique au moment où les deux princes adoptent officiellement la réforme, il faut qu’ils l’affichent et le manifestent de façon bien concrète et visible . Et pourquoi pas alors par ce polyptyque centré sur la promotion de la Bible comme seule autorité.

Car je crois que c’est dans son rapport avec la Bible que nous comprendrons la fonction de ce retable

Or la première chose que l’on constate à ce sujet, c’est l’abondance des panneaux par rapport à des retables disons-plus classiques et ces 6 panneaux s’ouvrent et se referment comme on ouvrirait ou refermerait les pages d’un livre

Mais on peut encore aller plus loin dans cette ressemblance avec le livre. Les tableaux ne sont pas placés en désordre. Ils ne suivent pas par exemple l’année liturgique comme le font certains retables avec une section pour Noël, une autre pour Pâques etc.... Non l’ordre dans lequel les tableaux se succèdent évoquent les lignes d’un livre

Quand on ouvre le retable on voit bien que l’on part d’un premier tableau ( l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste à son père, c’est à dire le début de l’évangile selon Luc) et que la disposition des tableaux et leur ordre de succession se fait horizontalement et de bas en haut comme les lignes d’un livre. Le dernier tableau représentant l'élection de Mathias en remplacement de Judas .

On a affaire ici de toute évidence non plus à un retable pour un autel mais à un véritable livre- symbole en bois peint dont les panneaux formeraient les pages et la succession des tableaux formeraient les lignes.

C’est donc une bible au sens étymologique du mot biblia : le livre.

Qu’il soit ou non posé sur un autel alors n’a plus d’importance car c’est une oeuvre artistique religieuse qui a perdu sa fonction d’image de dévotion sur un autel voir même de catéchisme doctrinal pour n’être plus qu’une énorme Bible. C’est donc probablement une promotion, un rehaussement, une mise en valeur protestante du Livre par excellence qu’est la Bible. La doctrine protestante en effet met au second plan la Tradition de l’Eglise et la soumet à la critique de la Bible.

On peut aller encore un peu plus loin en ce sens. Les tableaux ont un texte peint à la main ( je souligne à la main) . Ce n’est pas nouveau en soi car bien des fresques ou des tableaux antérieurs au retable ont également des textes peints. Ce qui fait la différence c’est la longueur de ce texte ( je n’en ai jamais trouvé d’aussi longs sur d’autres tableaux) .C’est surtout aussi, la place que le texte occupe en surface. Il prend , en effet, au moins le tiers du tableau ce qui témoigne de l’importance que l’on a voulu donner au texte, importance confirmée par le cadre aux couleurs dorées et somptueusement enjolivées qui rehausse et donne de l’importance au texte lui-même et surtout aux références bibliques citées ce qui est rare. Si le texte est ainsi mis en valeur et montré ce n’est pas seulement parce que c’est le texte biblique. C’est déjà important en soi . Mais ici c’est d’abord et surtout parce que c’est une traduction en langue vulgaire, c’est à dire populaire, du texte des évangiles. C’est là , toute l’originalité de ce texte proposé par Kaspar Gretter. C’est un texte qui suit pour l’essentiel la traduction du Nouveau Testament que Luther avait faite dès 1522. Mais subtile différence alors que le texte du retable de Gotha suit fidèlement cette traduction le texte du retable de Montbéliard a été quand à lui re-écrit en phonèmes, en prononciation,( avec d’ailleurs

des signes indiquant les inflexions et tout cela très proche du dialecte souabe de sorte que n’importe quel lettré du Wurtemberg puisse goûter la saveur de cette prononciation bien locale d’un texte qui d’ailleurs parfois n’hésite pas à employer des expressions souabes. (CLIC) Voici un exemple comparatif où le nicht est remplacé pat le nit et où l'orthographe induit une certaine prononciation

Essayons de faire le point sur cette démarche qui peut nous sembler pour nous , allant de soi.

A l’époque, la présentation seule d’un tel texte était déjà en opposition avec la doctrine de l’Eglise catholique

Cette exposition publique du texte biblique en langue vulgaire enfreignait en effet l’interdiction de la Papauté faite , depuis l’émergence et la destruction des Cathares et ensuite depuis de nombreux conciles, à tous ceux qui ne sont pas du clergé: interdiction de lire, de traduire, de posséder la Bible, enfreignant donc cette interdiction le polyptyque offre à tous ceux qui sont en capacité de lire une version populaire des Évangiles.

Il s’agit maintenant d’aborder le statut de l’image par rapport au texte.

Généralement l’image est toujours secondaire au texte qu’elle valorise , illustre ou soutient. On serait tenté de conclure alors que l’image de chaque tableau du retable n’est là que pour illustrer le texte. Elle ne serait qu’un complément non essentiel au texte biblique.

En réalité l’image ici a un rôle bien spécifique : elle appelle le texte car elle a besoin de lui pour faire comprendre le message qu’elle ne peut traduire complètement en image. Mais le texte souvent condensé et abrégé est parfois en de-çà de ce que révèle l’image. Il y a donc un va-et-vient fécond entre le texte et l’image tous deux étant d’importance égale.

C’est ici que l’on peut postuler la toute nouvelle fonction que prend l’image dans ce polyptyque, une fonction bien particulière qu’elle ne retrouvera plus dans toute l’histoire de l’art religieux du fait que dans le protestantisme, c’est le courant hostile à toute image qui l’emportera finalement et qui va tarir ce mode d’ expression artistique et théologique original

Il convient de rappeler ici que la pensée occidentale chrétienne donnait à l’image religieuse ( peinture ou sculpture) soit un rôle dévotionnel soutenant la méditation et la prière, soit un rôle pédagogique selon l’expression du pape Grégoire Premier biblia pauperum , la bible des pauvres, la bible des illettrés. Or les images du retable n’obéissent pas à cette logique. Elles ne sont ni soutien à la dévotion, ni pédagogiques, ni même à contenu doctrinal, c’est à dire catéchisme.

Vous connaissez l’importance que la réforme protestante a donné à l’apprentissage de la lecture pour tous. Et bien ici il y a , un plus, ce n’est ni ou l’image pour les illettrés, ou le texte pour les lettrés mais une association féconde entre le texte et l’image où lecture et image s’interpénètrent et dialoguent

C’est un tout nouveau statut donné à l’image car elle acquiert ici dans ce retable le même statut que le texte écrit . L’image est une traduction par elle-même des Évangiles au même titre que le texte écrit traduisant les Évangiles.

Elle va même peut-être plus loin encore mais cela je ne puis le prouver puisque les auteurs ne nous ont pas révèlé leurs intentions personnelles concernant l’usage de l’image.

Je crois , pour ma part, que l’image ici non seulement traduit les Évangiles et cela est évident quand on voit comment le récit évangélique est actualisé

avec un Jésus entouré de ses apôtres qui s’adresse à des contemporains de l’auteur un prince, un lansquenet, un maître-vigneron, des mendiants aveugles etc, tous vivant en Allemagne du Sud et représentés ainsi.

Mais il y a encore plus qu’une simple transposition temporelle, qu’une sorte de contextualisation , de mise en contexte dans la société souabe de la vie et des actes de Jésus.

Car cette contextualisation n’est pas originale en soi. On a, la plupart du temps représenté Jésus, dans les costumes ou l’univers culturel de l’époque du peintre ou du sculpteur.

Mais ici , et cela me parait quelque chose de neuf, l’image se fait parfois interprète, donnant du texte biblique un sens particulier, ajoutant son commentaire, précisant et soulignant la portée du message.

Dans notre jargon particulier de théologiens nous parlons ici d’herméneutique. L’image du retable de Montbéliard a une dimension herméneutique certaine c’est à dire elle est interprétation raisonnée du texte biblique et pas seulement expression personnelle ou fantaisiste du peintre.

Bien entendu je n’ai aucune preuve de cela ; c’est-à-dire est-ce que le peintre avait, comme je le suppose, une intention théologique particulière.

Pourtant en regardant attentivement ces tableaux on remarque ,par exemple, de la part du peintre un ajout assez constant et régulier d’un petit personnage situé ici à droite du tableau qui à priori n’a aucune référence au texte biblique, n’a aucun sens dans la narration de l’histoire évangélique . C’est un petit bonhomme qui d’après ses traits et sa physionomie ne peut pas être un enfant. Or ce personnage est présent dans de nombreux tableaux . Il ne correspond à aucun personnage biblique. C’est un plus ! Mais quel plus ? C’est difficile à préciser pourtant sa robe blanche constante pourrait faire référence à la robe blanche du nouveau baptisé. Sa fausse jeunesse pourrait faire référence au chrétien lui-même en tant que spectateur et participant de l’histoire sainte qui se déroule sous ses yeux.

En tout cas même à la crucifixion parmi cette foule nombreuse ,ce personnage est là . Regardez:

comme s’il était l’image symbole du chrétien de tous les temps incorporé dans la grande geste ,dans la grande histoire de Jésus

Autre remarque significative de l’intention du peintre : Jésus et ses disciples sont toujours représentés sans auréole et surtout pieds nus ou avec des sandales qui contrastent avec les diverses chaussures représentées ici. Ici encore il n’y a pas vénération mais plutôt mise en exergue de la simplicité évangélique sans pour autant de jugement moral sur la richesse et l’aisance.